le secret de la vie

Publié le par lilavande

Comment Vieux-Père et Vieille-Mère cachèrent le secret de la vie

 

Sachez qu’aux premiers temps Vieux-Père et Vieille-Mère, après avoir créé animaux et forêts, se mirent en devoir de pétrir l’être humain. Ils façonnèrent donc un corps, un visage par où entendre, regarder, sentir, savourer, ils lui donnèrent un cœur, un esprit conquérant. Quand tout fut comme il faut :

- Quel bel enfant ! dit Vieille-Mère. Mais, voyons, il n’est pas complet. Il nous faudrait placer quelque part dans son être sa conscience divine. Où la mettrons-nous, Vieux-Mari?

   Vieux-Père se gratta la barbe puis il grogna et répondit :

- Mieux vaudrait la cacher. Certes, l’homme est un dieu, puisqu’il est né de nous. Mais le savoir divin est aussi précieux que fragile. Je crains fort de l’abandonner au caprice de notre fils et des enfants de ses enfants. Tels que je les pressens, ils le gaspilleront, l’abîmeront peut-être. A bien y réfléchir, je préfère cacher leur conscience divine à la cime du mont le plus haut d’ici-bas. Ainsi elle sera protégée des mauvais usages possibles, et nous pourrons dormir sans souci excessif.

Vieille-Mère se prit à rire.

- Vieux-Père, quel naïf tu es ! Ignores-tu vraiment la force, le courage, la folie de nos fils ? Un jour, ils grimperont sur tous les monts du monde. Avant qu’il soit midi dans la vie de la Terre, ils la découvriront, leur conscience divine !

 

Vieux-Père soupira, grogna deux fois et répondit :

- Hélas, femme, tu as raison. Il nous faut un abri moins venteux, moins visible. Je déposerai donc cet infini savoir au fond le plus profond du plus vaste océan, chez les poissons aveugles. Nos fils n’iront jamais dans ces trous sans soleil.

- Mon pauvre vieux mari, répondit Vieille-Mère, j’ai porté nos enfants, qui sait donc mieux que moi ce dont ils sont capables ? Un jour, ils bâtiront des vaisseaux prodigieux. Il n’est pas une pierre au fond de l’océan qu’ils ne retourneront. Ils la découvriront, leur conscience divine !

 

Vieux-Père réfléchit quatre ou cinq millénaires, puis il grogna, l’œil allumé :

- Je crois que j’ai trouvé. Au cœur le plus brûlant du désert le plus nu. Là, c’est sûr, ils ne viendront pas. Là leur divinité pourra vivre tranquille, intacte, inexplorée.

- As-tu donc réfléchi si longtemps pour cela ? répondit Vieille-Mère. Oh, fou attendrissant ! Un jour, dans le désert ils planteront des tours, des cités, des jardins, des arrosoirs géants ! Ils domestiqueront le sable, du trop chaud ils feront du froid. Un enfant trouvera un matin, sous son pied, leur conscience divine, et tu seras le seul à t’en éberluer !

 

Vieux-Père se sentit soudain désemparé. Il resta rechigné quelques années-lumière, enfin leva le front, et que vit-il, à l’est, par la lucarne ouverte ? Le soleil qui sortait des brumes. Comme il embrasait l’horizon, il vit un arbre s’ébrouer, frileux dans le matin naissant, il vit une feuille tomber dans le ruisseau, le long du pré. Il rit enfin. Il dit :

- Regarde la lumière. Sait-elle qu’elle brille ? Regarde le ruisseau. Que sait-il de la soif ? Dans le souffle et le sang de tes fils, vieille femme, au tréfonds de leur être, au plus chaud de leur cœur je dissimulerai leur conscience divine. Et comme le soleil ignore son éclat, comme l’eau  ne sait pas qu’elle donne vie au monde, nos fils ignoreront cette divinité dont je les ai pétris.

Vieille-Mère un moment resta le regard vague puis elle hocha la tête et répondit, pincée :

- La cachette est subtile. J’avoue que pour le coup nos fils auront du mal à trouver son chemin.

Et tandis que Vieux-Père allait à son jardin,  elle cogna l’air du poing sur le pas de la porte et dit pour elle seule, avec une vaillance à nouveau jubilante :

- Oh, ils y arriveront. Je connais, mes enfants, c’est moi qui les ai faits. Il leur faudra du temps, mais confiance, confiance !

henri gougaud

Publié dans conte d'europe

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