les yeux de la justice

Publié le par lilavande

l'homme qui voulait être enterré avec le soleil
 
Il était une fois, il y a bien longtemps, du temps où les ténèbres régnaient sur la terre, un homme qui s’appelait Yakoumbé. Cet homme avait toujours froid. Un jour, il prit son bâton macaque (un bâton magique). Il lui commanda de le mener jusqu’au pays de justice. Le bâton macaque le guida à travers sept vallées, et sept montagnes. Ils parvinrent enfin au pays de justice. Ils entrèrent dans une grotte. Yakoumbé vit deux yeux qui brillaient. Sa plainte monta :

C’est pas juste, c’est pas juste.
C’est vraiment pas juste.

- Qu’est ce qui n’est pas juste ? demanda la Justice.
- Il n’est pas juste que j’aie toujours froid. Je n’ai fait de mal à personne. Ce n’est pas juste de souffrir ainsi quand on n’a rien fait.
La Justice réfléchit longuement. Elle dut bien admettre que ce n’était pas juste. Elle poussa un énorme soupir, et donna l’un de ses yeux à Yakoumbé, en lui disant :
- Ce qui est donné, est donné ; ce qui est donné est donné. Cet œil, tu devras le lancer le plus haut possible, du plus fort que tu peux, dans le ciel, et tu n’auras plus froid.
Yakoumbé remercia la Justice. Dès le seuil de la grotte franchi, il lança l’œil le plus haut possible, du plus fort qu’il put. Le soleil brilla.
 
 
On y vit comme en plein jour, pour la première fois. Yakoumbé était heureux : il n’avait plus froid. Il pouvait se déplacer sans avoir recours au bâton macaque. Les jours passèrent, paisibles. Les jours, les semaines, les mois, les années. Yakoumbé devint un homme mûr, puis un vieillard. Alors qu’il n’était plus capable de se déplacer qu’avec difficultés, il vit venir à lui la Justice.
 
 
- Que me veux-tu ? lui demanda-t-il.
- Eh bien, je viens reprendre ce qui m’appartient ! Tu vas mourir. C’est dans l’ordre naturel des choses. Mon œil ne te servira plus à rien.
La plainte de Yakoumbé s’éleva :

C’est pas juste, c’est pas juste.
C’est vraiment pas juste.
Ce qui est donné, est donné.
Ce qui est donné, est donné.

- Cet œil est à moi ; je veux qu’on l’enterre avec moi. Les dernières volontés d’un mourant sont sacrées !
La Justice réfléchit longtemps. Elle dut bien convenir que Yakoumbé avait raison : ce qui est donné est donné ; ce qui est donné est donné ! Elle poussa un énorme soupir. Elle tourna les talons pour s’en retourner vers son pays, le pays de justice.
Peu de temps après, Yakoumbé mourut. Comme promis, on l’enterra avec son soleil. Les ténèbres régnèrent de nouveau sur la terre !
 
On vit les êtres vivants, les hommes, les animaux, converger vers le pays de justice. Leur plainte s’éleva à l’entrée de la caverne :
 
C’est pas juste, c’est pas juste.
C’est vraiment pas juste.

- Qu’est ce qui n’est pas juste, demanda la Justice ?
- Il n’est pas juste qu’on nous prive du soleil de Yakoumbé. C’est vrai : nous n’avions rien demandé. Maintenant que nous avons connu les bienfaits du soleil, pourquoi nous replonger dans les ténèbres ? Nous n’avons fait de mal à personne. Ce n’est pas juste de souffrir ainsi quand on n’a rien fait.
La justice réfléchit longuement. Elle dut bien admettre que ce n’était pas juste. Elle poussa un énorme soupir. Elle donna le dernier de ses yeux aux vivants assemblés, en leur disant :
- Ce qui est donné est donné ; ce qui est donné est donné. Cet œil, vous devrez le lancer le plus haut possible, du plus fort que vous pourrez, dans le ciel. Le soleil vous éclairera et vous réchauffera comme du temps de Yakoumbé.
 
Les êtres vivants remercièrent la Justice. Dès le seuil de la grotte franchi, ils lancèrent l’œil le plus haut possible, du plus fort qu’ils purent. Le soleil brilla de nouveau. On y vit de nouveau comme en plein jour.
C’est depuis ce temps-là qu’on dit la Justice aveugle. Mais ce n’est pas le plus important. De temps à autre, le soleil de Yakoumbé se réveille. De se voir ainsi condamné à rester dans les profondeurs de la terre, sa plainte et sa colère s’élèvent :

C’est pas juste, c’est pas juste.
C’est vraiment pas juste.

Sous l’effet de sa plainte, la terre tremble, elle craque, elle se fend. Les volcans grondent, ils crachent vers le soleil toute la colère du soleil de Yakoumbé. Puis tout s’apaise  de nouveau.
 

Publié dans conte d'afrique

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