La tempête...

Publié le par lilavande

Et c'est à leurs sandales que les voyageurs ont rapporté cette histoire qui court depuis quatre ou cinq milles ans, fleuves, déserts, mers... et collines...  

 Il eut autrefois des disciples (on nommait ces gens bektashis), tous errants, chanteurs de chemins, boustifailleurs de ramadan, aussi libres que paille au vent, donc furieusement détestés tant des dévots que de leur Dieu, si Celui qu’on nomme ainsi est cet infréquentable juge qui pèse les âmes des morts au comptoir de l’éternité.


Or donc, un bektashi, plus loqueteux qu’un saint errant au sortir d’un buisson d’épines, quitta craintivement le port et ses compagnons d’Istanbul sur un peu rassurant bateau débordant de pèlerins gais. Ce qu’il craignait survint au soir du deuxième jour de voyage. Les éclairs fouettèrent la mer, le ciel s’en vint flairer les vagues à grands coups de museau brumeux, la houle accourut au chahut, bref la tempête redoutée prit le navire à bras-le-corps et se mit à baiser ses flancs plus goulûment qu’une démone trop longtemps privée d’affection.

Roulant de bâbord à tribord et de tribord en nausée verte, les pèlerins prièrent Dieu, aussi dignement qu’ils le purent, d’épargner le deuil à leurs fils.

 Le bektashi, claquant du bec, les sourcils en toit de maison, se laissa choir au pied du mât, l’étreignit des bras et des jambes, et sans rien entendre des chants qui s’élevaient des bouches pieuses se mit à gémir comme un loup.


Parmi les dévots en vadrouille était un mollah bien noté de ses supérieurs hiérarchiques. Dans son œil noir étincelait l’inquiétante jubilation de ceux qui ne doutent de rien. Au gré des gifles de la mer il dérivait de bord à bord, glissant sur son échine courbe, en assurant le Créateur de sa confiance indélébile.

Comme il passait auprès du mât, sa main errante s’agrippa à la manche du bektashi.
- N’as-tu pas honte, lui dit-il, de t’effrayer si bassement ? Dieu est amour, Il nous protège. En douterais-tu, mécréant ?


L’autre reçut par le travers un tonneau d’embruns furibonds, rattrapa son turban mouillé qui s’enfuyait dans la bourrasque et pleurnicha ces pauvres mots :
- Dieu est amour, frère, je sais. À dire vrai, c’est bien cela qui me barbouille les entrailles. Il aime avec tant de passion les plus menus de ses enfants que je le sens dans sa bonté capable d’offrir nos cadavres aux petits poissons affamés !
Et levant son front ruisselant :
- Ai-je bien vu, ô Tout-Puissant ?


Un éclair fendit les nuées.

Un rugissement prodigieux parut approuver ses paroles.

Certes, il était terrifiant, mais somme toute assez gaillard, et d’une impatiente ferveur. • 


 Henri Gougaud


Cette parole vous la regardez avec vos yeux; vous l'écoutez avec vos oreilles; vous la goûtez avec votre bouche; vous la sentez avec votre nez.
Ce que je sais c'est qu'elle rentre en vous, et ira blottir je ne sais où- peut-être dans la fesse gauche, peut-être dans vos doigts de pied! Mangez-la.
Ce que je veux c'est qu'un jour qu'elle ressorte de votre bouche comme un courant d'air qui réchauffe tous ceux qui vous écouteront...
  

Publié dans conte d'orient

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