l'enfer et le paradis

Publié le par lilavande

Un jour, un fameux samouraï nommé Kasaï, fatigué de risquer partout sa haute et puissante carcasse, se prit à écouter son âme. Et son âme lui dit : « Par pitié, trouve-moi ». Kasaï s’étonna fort : « T’ai-je donc égarée ? Puisque tu sais parler, mon âme, dis encore. Où es-tu ? Réponds-moi et j’irai te chercher - Je suis où est l’enfer. Je suis peut-être aussi où est le paradis. » L’âme lui dit ces mots, puis demeura muette.

Alors Kasaï décrocha son épée et s’en alla sur les routes à la recherche de ces lieux où était son âme. Or, comme il cheminait, il parvint à la ville d’Ise, où était un marché. Un moment il erra parmi les charretées de fruits et de légumes, puis acheta pour quelques sous un bol de riz bouilli et s’assit contre un arbre pour déjeuner tranquille.

Il vit alors passer un homme sur son âne, et soudain reconnut son visage. Il l’avait rencontré un jour, dans la montagne d’Ise où il s’était égaré à pourchasser des brigands.

Cet homme était ermite.

Il avait hébergé le samouraï perdu puis il l’avait remis sur la route de la ville.

ll y avait de cela quinze ans, peut-être vingt. Il n’avait pas changé d’un cheveu, d’une ride. Il s’appelait Hakuin.

Il paraissait heureux. Kasaï laissa sa pitance et de loin le suivit jusqu’à sa maison basse au bord de la forêt qui grimpait vers le brumes.

 Il demeura longtemps à l’abri du sous-bois, sans oser s’approcher de la porte.

Au crépuscule enfin il s’en vint sur le seuil, appela : « Maître Hakuin ! »

Il attendit un peu, puis l’ermite apparut, une lampe à la main.

« Que me veux-tu mon fils ?

- Me reconnaissez-vous ? dit Kasaï

- Entre », répondit le vieil homme.

Après qu’ils eurent bu ensemble un bol de thé :

« Maître Hakuin, dit le samouraï, je cherche le chemin du paradis, je cherche aussi celui de l’enfer, car mon âme m’a dit qu’elle était en ces lieux.

Aidez-moi, je ne sais que marcher sans boussole, au hasard. »

L’ermite resta silencieux à contempler son visiteur.

 Puis sa figure se fit soudain si sarcastique et méprisante que Kasaï se dressa, le coeur bouleversé et les tempes battantes.

« Qui es-tu donc pour me prier ainsi ? grinça méchamment maître Hakuin.

Un soudard, un brutal, un rustre. Certes, je te connais.

Tu pues autant qu’un fauve. Quinze années sont passées depuis ce jour où par indulgence coupable je t’ai accueilli sous mon toit, mais je n’ai oublié ni ta mauvaise odeur ni ton regard stupide.

Comment l’aurais-je pu ? Tu es ce qui se fait de plus sot en ce monde. Toi, suivre le chemin du Ciel et de l’Enfer ? Plutôt mener un chien à la porte de Dieu ! »

Kasaï pâlit. Son oeil se fit terrible et sa bouche trembla. Jamais aucun vivant n’avait osé l’insulter de la sorte. La fureur tout à coup déborda de son corps. Il empoigna son sabre, à deux poings le leva. Comme il allait l’abattre :

« Ici s’ouvre le chemin de l’enfer », dit maître Hakuin. Il souriait, paisible, à nouveau tendre et simple.

Le samouraï laissa tomber ses bras puis lui sourit aussi, l’air tout illuminé. Enfin il s’inclina devant le vieil ermite.

Alors il entendit au-dessus de sa tête :

« Ici, mon fils, s’ouvre le chemin du paradis. »

C’est ainsi que commença le long voyage de Kasaï à la rencontre de son âme.

 

Henri Gougaud

Publié dans conte d'asie

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